C’est ben beau le moment présent, mais c’est pas assez

Quand j’ai commencé à être malade, il y a 11 ans, je n’ai rien changé à mes habitudes. Ma vie était la même, avec beaucoup de douleur, mais juste un peu plus d’inquiétude. J’avais 33 ans et la vie devant moi pour réaliser tout ce que je souhaitais de la manière dont je l’entendais.

Quand j’ai reçu le diagnostic de sclérose en plaques il y a 7 ans, j’ai continué à avoir des projets, des objectifs de carrière et de vie. Mais, quand j’ai été confronté à mon incapacité à travailler et à mes nombreuses limitations, il y a 5 ans, j’ai arrêté de me projeter dans l’avenir. L’avenir était devenu plus incertain qu’auparavant. L’état dans lequel je serais demain, cet après-midi, dans quelques minutes pouvait changer drastiquement. Pour éviter d’être déçue de ne pouvoir faire ce que je souhaitais, de souffrir d’être tout le temps fatiguée et dans la douleur, il ne devait exister que le présent. Le présent. On dit qu’il faut le vivre à plein, c’est ce que je fais. Cependant, si l’avenir n’existe pas, qu’est-ce que cela fait de notre présent? Si on arrête de faire des projets… que devient-on? Quand on n’ose pas espérer, parce que la déception se pointe trop souvent… comment vit-on?

Je suis en arrêt de travail pour invalidité depuis plus de cinq ans maintenant. Mes journées sont remplies de lecture, de rédaction, de peinture, de tricot, d’exercices… pis de ménage aussi. Ça vous semble plaisant, je suis certaine. Pourtant dans le contexte, ça ne l’est pas toujours. Oh, j’aime bien ces activités, je les ai choisies parce qu’elles me plaisent. Mais je ne les pratique pas que parce que j’aime ça. Je lis, écris et peins pour stimuler mon cerveau afin de ralentir la perte de mes facultés cognitives. Je tricote pour maintenir une bonne dextérité manuelle et je fais le ménage et les exercices pour regagner de la force et stopper la pente glissante de la dégénérescence. C’est ça, mon présent. Cultiver ou maintenir mes facultés. C’est mon objectif principal.

Mais voilà qu’il me manque quelque chose. J’ai toujours eu des objectifs, des rêves, des projets. Aujourd’hui, où est-ce que j’en suis? J’ai réalisé tous mes rêves, sauf un. À 8 ans, je savais ce que je voulais faire quand je serais grande. Écrivaine. Puis, après certains aléas de la vie, parce que je voulais me trouver un emploi qui pourrait subvenir à mes besoins, j’ai bifurqué dans la relation d’aide. C’était moi. J’ai toujours eu cette tendance à aider les autres, dès le primaire. Alors, j’ai fait de la relation d’aide ma vie. J’aimais ça et, j’ose le croire, j’y excellais. Il y a 5 ans, j’ai commencé à travailler sur mon premier vrai manuscrit. Parce que j’avais déjà écrit avant, mais faute de temps, je n’avais jamais achevé mes textes. J’avais toute une vie devant moi. Ce serait pour plus tard. Alors donc, il y a cinq ans, j’avais du temps et je me suis mise à l’ouvrage. J’ai travaillé avec acharnement sur ce texte, qui, malheureusement, n’a pas trouvé d’éditeur. Pour plusieurs raisons. Mon écriture n’était pas assez soignée, sûrement, puis mon texte n’allait pas rejoindre suffisamment de lecteurs pour qu’un éditeur se risque à le publier. C’est correct. Ç’a été une expérience fort enrichissante pour moi et je suis reconnaissante à tous ceux et celles qui m’ont accompagné dans ce périple. Le dossier est pour moi classé et, bien que j’aurais aimé que ce roman soit publié, j’ai accepté que ça n’ait pas marché. J’ai d’ailleurs au moins un autre projet d’écriture. Un projet qui joint plusieurs de mes intérêts et dont l’idée a germé il y a une dizaine d’années.

J’ai commencé à plancher sur ce manuscrit au début de l’année. Depuis quelques semaines, il est là, sur ma table de travail. Je n’arrive pas à m’y remettre. Peut-être est-ce par peur de voir mes espoirs déçus, c’est probable, mais c’est surtout, je crois, à cause de ma nouvelle relation avec l’avenir. Parce que j’ai de la misère à m’imaginer dans un an tenir le bouquin publié en main. Parce que moins on essaie de se projeter dans l’avenir, moins on en est capable. Moins on se projette dans l’avenir, moins on agit. Moins on agit, plus on est insatisfait, plus on déprime. Remarquez, je ne suis pas déprimée, mais je cherche à faire du sens de cette vie qu’est devenue la mienne, justement pour ne pas déprimer. J’ai besoin d’être stimulée, comme tout le monde. J’ai besoin de croire que je peux encore accomplir des choses, en dehors de la gestion de mon état de santé. J’ai besoin de réaliser mon rêve d’enfance et d’adulte – d’adulte, oui, parce que je me suis demandé si ce rêve était encore d’actualité ainsi que ce que je cherchais à satisfaire à travers lui. J’ai besoin de réapprendre à désirer réaliser des projets et à les mener à terme. J’ai aussi besoin, je le dis en toute humilité, d’une bonne cheerleader! 😉

Mise à jour – 17 h 03

Généralement, quand on parle de vivre le moment présent, cela veut dire de vivre intensément et consciemment chaque moment. Bien sûr, cela n’empêche pas d’échafauder des projets d’avenir. Pourtant, pour moi, c’est le tournant qu’a pris cette expression. Je voulais juste le spécifier, car il est vrai que dans le texte, j’ai pris certains raccourcis et escamoté certaines nuances. Merci à Mylène qui a attiré mon attention à ce sujet. 🙂